10 - Prévoir demain pour mieux agir aujourd'hui !
- Florian Colin
- 15 janv.
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 janv.

Arrivé à ce stade de la méthodologie Business Flow, votre entreprise a tous les moyens pour maitriser ses opérations, s'assurer que tout se déroule bien et regarder ses erreurs passées pour trouver des axes d'amélioration à mettre en place. Pour aller encore plus loin dans la robustesse et la qualité des outils et des prises de décisions, jeter un coup d'œil au futur peut être d'une grande utilité !
Si vous savez qu'un grand pic de demandes clients est sur le point de vous tomber dessus, peut-être anticiperez-vous des recrutements, un recours à des intérimaires ou une organisation du personnel différente ? Si on vous disait que dans 18 mois, les besoins de production au départ d'une de vos usines seront 40% supérieur à aujourd'hui, dépassant votre capacité maximum de production, ne commenceriez-vous pas dès aujourd'hui à trouver d'autres sites de production à ouvrir ? Si vous receviez la projection des émissions de CO2 de vos entreprises dans les 3 prochaines années et que vous constatiez que si vous ne faites rien alors vous allez dépasser de 20% les engagements de responsabilité environnementale que vous vous êtes fixés, quel projet lanceriez-vous dès aujourd'hui ?
Le grand principe est posé. Quelle que soit la méthode que vous voulez adopter, avoir des outils de prévision permettant d'anticiper chaque grandeur d'entrée de vos activités est essentiel.
"Mais les prévisions sont toujours fausses, donc à quoi est-ce que ça sert de perdre du temps et de l'argent à prévoir quelque chose qui n'arrivera jamais ?"
La voilà ! L'opposition la plus courante à tous les outils de prévision. Et elle part d'un constat qui est bien réel ! En effet, aucun processus de prévision (d'une grandeur qui n'est pas évidente naturellement) ne peut avoir 100,00% de précision. Mais que vous le vouliez ou non, vous faites déjà des prévisions sur l'ensemble des pans d'activité de votre entreprise. La prévision la plus courante est : les choses vont continuer demain comme elles sont aujourd'hui. Lorsqu'on ne met pas de processus de prévision en place à proprement parlé alors on prévoit que demain sera identique à aujourd'hui et on avance avec cette hypothèse sans même en avoir conscience le plus souvent. Donc, si votre activité à quelques fluctuations ou de grandes tendances, autant les prendre en compte un minimum et ça améliorera souvent drastiquement vos exécutions.

En ce qui concerne l'erreur de prévision, l'important n'est pas qu'elle soit nulle puisque c'est irréaliste, l'important est de l'estimer pour être capable de prendre des décisions à partir de la valeur prévue et du "flou" venant de l'erreur de prévision. Et bien sûr il sera intéressant de travailler à faire diminuer cette erreur de prévision si jamais elle est trop importante et nous empêche de prendre de bonnes décisions ! La clé est donc de prévoir les grands entrants de nos activités, pour chaque secteur, de rendre robuste et le plus automatisé possible le processus de prévision (incluant l'évaluation de l'erreur de prévision du processus) et de publier ces prévisions aux preneurs de décision de chaque secteur ou aux outils qui gèrent des processus métiers (planification, réservation de capacité, dimensionnement de moyens ou d'effectifs, etc.).
Dans les grandes familles d'outils de prévision que l'on peut citer, pour dépeindre un aperçu général, il y a :
Les environnements permettant l'analyse de séries temporelles et la création de modèles ad-hoc ou l'utilisation de librairies ou fonctions standards : Excel, R, SPSS ou même python avec des librairies comme statsmodels, prophet ou scikit-learn ;
Les outils de gestion et prévision de la demande : Oracle Demand Management, SAP Integrated Business Planning ou Microsoft Dynamics 365
Les plateformes de construction de modèles à partir de machine learning : Amazon Forecast, Google Vertex AI ou encore Azur Machine Learning
Certains outils de BI intègrent des algorithmes prédictifs : Tableau Software, Microsoft Power BI ou encore Qlik Sense
Des outils de prévision adaptés à des secteurs d'activités : Relex Solutions (Supply Chain), Workday (Finance & RH), Planful (Finance), HubSpot Sales Hub (Marketing & Ventes), Plexos (Energie)
Il existe énormément de manière de construire des prévisions, et ces outils vont utiliser beaucoup d'approches différentes : de régressions linéaires simples ou multiples jusqu'aux réseaux de neurones (RNN, LSTM, etc.), en passant par les techniques de lissage exponentiel avec intégration ou non de tendances et de saisonnalité, ou des modèles de type économétrie... Les techniques sont multiples et dépendent principalement de 3 grands facteurs :
L'objectif de la prévision : prévisions précises sur le court terme et à une granularité fine, ou moins précises sur du moyen terme, ou ordres de grandeur sur du long terme (ex: plusieurs années) ;
Les données disponibles : a-t-on des données sur une grande période dans le passé ou non, a-t-on des données granulaires ou non, a-t-on une bonne fiabilité des données ou non ;
Le niveau de complexité de la prévision : est-ce qu'il y a beaucoup de volatilité dans la grandeur que l'on souhaite prévoir ou est-ce plutôt stable, veut on avoir juste en moyenne ou souhaite-t-on bien anticiper les pics et les creux, etc.
Afin de partager avec vous quelques premiers mécanismes de construction de prévision, partons d'un exemple. Imaginez que vous êtes en charge du dimensionnement et de la planification du personnel de vente de plusieurs magasins et que vous venez de prendre vos fonctions. Une des grandeurs que vous utilisez pour prendre des décisions (ajustement des plannings, recrutements, appel à des renforts, validation des congés, etc.) est la prévision du nombre de visites de clients potentiels dans les semaines à venir. Le mois de décembre commence tout juste, et vous recevez ces données pour un de vos magasins depuis les systèmes de collecte et structuration des données qui ont été mis en place :

Afin de valider les plannings pour décembre et anticiper les éventuels problèmes, vous souhaitez prévoir ce que sera "à peu près" le volume de visites de clients pour chaque jour de décembre. Le cas idéal d'une prévision étant la stabilité absolue (ex: 2000 clients par jour chaque jour), vous réalisez que vous êtes loin de ce cas idéal. Il semble qu'il y ait beaucoup de fluctuations au jour par jour. Mais après un deuxième regard vous observez qu'il semble y avoir un rythme dans la semaine, avec des pics les mercredis et samedis en particulier, et des creux les lundis et jeudis, qui sont compréhensibles connaissant le secteur d'activité de votre magasin et sa localisation. Le premier réflexe intéressant ici est de constamment rapprocher la donnée de ce qu'elle représente. Est-ce que ce que je vois est cohérent par rapport aux retours terrains que je reçois et à ce que j'expérimente moi-même en magasin ? Cela permet de détecter énormément d'erreurs tout au long d'un exercice de prévision (ou de simulation, ou d'optimisation).
Dans notre cas, même si vous vous focalisez sur un jour de la semaine vous voyez des fluctuations qui font que vous n'êtes pas très à l'aise. Vous commencez donc par vous poser la question : au global, est-ce que Décembre ressemblera à Novembre concernant l'affluence des clients ? C'est à dire, sommes-nous sur une activité stable globalement, ou en croissance, ou en décroissance ? Pour cela vous demandez un accès aux données mois par mois sur les mois précédents, et vous recevez ceci :

Bon, pas facile à lire. Déjà on peut noter ici l'intérêt d'avoir des données sur une période plus large que les dernières semaines seulement, sans quoi on n'aurait pas du tout pu se rassurer sur l'ordre de grandeur du nombre de visites clients en Décembre. Encore une fois, on observe de grandes variations entre les mois, avec de très gros mois de Juin et Juillet, et des chiffres plus bas sur les autres mois en dehors d'Octobre et Novembre plus élevés. Si on excluait Juin et Juillet on pourrait apercevoir une tendance haussière des visites tout au long de l'année. Mais comment confirmer ou infirmer cette hypothèse ? Et est-ce que Juin et Juillet sont des anomalies ou est-ce une saisonnalité du métier ? Et s'il y a de la saisonnalité, que se passe-t-il en Décembre ? A ce stade, on sent qu'il nous manque encore des éléments afin de pouvoir commencer à prévoir Décembre. Pour cela on peut se rapprocher des équipes métiers pour comprendre ce qui explique ces fortes variations mois par mois (y a-t-il des événements ou promotions en Juin et Juillet ? Est-ce qu'il y a une activité touristique plus forte dans le secteur du magasin sur ces mois ?), et capter aussi les informations de tout ce qui est prévu en Décembre. Et on peut également demander à étendre l'accès aux informations pour regarder les comportements des années précédentes et comprendre s'il y a des schémas qui se répètent ou non.


Quand on reçoit ces éléments, on commence à être rassuré : il semble bien y avoir une saisonnalité ! Il semble que cela fasse 4 années de suite (incluant l'année en cours), que les mois de Juin et Juillet représentent entre 13% et 14% chacun du totale des visites clients entre Janvier et Novembre. Encore une fois, on voit l'intérêt de garder en mémoire plusieurs années de données afin de pouvoir prévoir avec plus d'assurance. Ces chiffres peuvent permettre d'identifier un premier moyen simple de prévoir le volume total du mois de Décembre : il semble que sur les dernières années Décembre soit plus faible que Novembre et que la baisse entre Novembre et Décembre soit stable. On pourrait donc par exemple valider cela en regardant le poids de Décembre par rapport aux autres mois, valider qu'il y a bien une certaine stabilité, et l'appliquer pour estimer Décembre. Puis répartir le volume total du mois en jour par jour en fonction d'un certain schéma journalier (ou "pattern" journalier).

On peut bien observer que sur les 3 dernières années, le mois de Décembre représente un peu plus de 8% des visites clients de l'année. Si on utilise ce fait, on peut prévoir donc Décembre 2024 avec l'hypothèse "il n'y a pas de changement majeur dans le comportement client ou dans la façon de gérer les opérations magasins ou les promotions, entre 2024 et les 3 années précédentes". On obtient donc une première projection du volume total de Décembre avec 32.756 visites clients :

En utilisant le même type de mécanique pour identifier les poids journaliers, on pourrait valider une certaine stabilité également et l'utiliser pour distribuer le volume chaque jour (ex: "combien représente les visites d'un lundi par rapport aux visites totales de la semaine ?"). On pourrait obtenir ainsi une première prévision assez simple des visites chaque jour :

Avec ces chiffres, vous pourriez vérifier que vous avez suffisamment de vendeurs pour répondre aux besoins de 2000 clients les mercredis, et 2500 clients les samedis, ou encore programmer des actions qui ne sont pas liés directement à de la vente (inventaires, brainstorming projets d'amélioration continue !, autres) sur les jours où vous prévoyez d'être en sureffectif sur la surface de vente.
Enfin, lorsque le mois de Décembre avance, vous aurez accès au réalisé et vous pourrez savoir à quel point vous vous êtes trompé dans vos prévisions :

On peut voir qu'avec une technique de prévision simpliste, on ne tombe pas si loin ici de ce qui s'est passé. Il y aura certainement eu quelques difficultés pour répondre aux attentes des clients la semaine du mercredi 18 et du samedi 21, et il y a eu moins de demande que prévu le samedi 14 et la semaine du 2 décembre, mais il semblerait que la courbe des prévisions suive "plutôt bien" la courbe du réalisé. Mais alors... est-ce une bonne prévision ? Comment sait-on qu'une prévision est bonne ou mauvaise ? Le premier réflexe dont on a parlé est le calcul d'une erreur de prévision. Une des manières d'avoir un aperçu sur l'ensemble du mois est de calculer le "WAPE" ("Weighted Absolute Percentage of Error"), soit la moyenne des erreurs de prévision de chaque jour, en valeur absolue, pondérée par le volume prévu sur chaque jour. Ainsi, si la prévision se trompe de 20% un jour où on prévoit 2000 visites, cela aura un impact plus négatif qu'une erreur de 30% un jour où on prévoit seulement 500 visites.
Dans notre cas avec les chiffres que vous pouvez lire sur le graphe au-dessus, le WAPE de Décembre serait de 15,2%, qui peut se lire : en moyenne, on se trompe d'à peu près 15% dans notre prévision chaque jour. Cela peut être une bonne métrique à indiquer dans un jalon aux équipes de prévision par exemple ! (cf "Connaître ses objectif": https://www.businessflow-experience.fr/post/02-conna%C3%AEtre-ses-objectifs). Si ces 15% sont trop élevés et que l'on imagine que l'équipe de prévision a un objectif du type "Fournir les meilleures prévisions possibles aux équipes opérationnelles", alors l'équipe de prévision pourrait se formuler un "KR" dédié aux équipes magasins du type "Faire diminuer le WAPE mensuel pour atteindre 8% d'ici à la fin de l'année 2025". Également, pour illustrer l'intérêt de donner de la visibilité sur l'erreur de prévision aux équipes qui les utilisent pour agir il peut être pertinent de fournir, au lieu d'une prévision seule, une prévision ET un intervalle de confiance basé par exemple sur l'erreur moyenne constatée sur les mois précédent par jour de la semaine (si l'erreur est plus faible en moyenne les lundis, alors l'intervalle sera plus resserré les lundis, et au contraire il sera plus large si l'erreur est plus grande en moyenne sur un autre jour). Avec notre prévision de Décembre, cela aurait pu donner :

Cela permet de fournir une forme de "précaution à prendre" sur les prévisions afin de décider comment les utiliser. Pour terminer sur le sujet, nous n'avons pas répondu entièrement à la question de ce qu'est une bonne prévision. Est-ce que 15% d'erreur est mauvais ou est-ce bon ? Pourquoi devrait-on viser 8% et pas 5% ? La réponse est : ça dépend ! Une erreur de prévision n'est jugeable qu'à la lumière de la décision que l'on prend avec cette prévision. Si vous ne prenez aucune décision avec une prévision alors c'est qu'elle est inutile, vous pouvez arrêter de la faire (je vous ai fait gagner du temps héhé !). Si vous prenez une décision à partir d'une prévision, alors posez-vous la question : de combien vous fait mal une erreur ? Par exemple, si la prévision avait été 30% moins élevée le mercredi 11 décembre, qu'auriez-vous pris comme décision ? Si vous aviez eu 3000 visites clients le mercredi 11 décembre alors que la borne haute de la prévision donnait 2300 clients, qu'auriez-vous perdu ? A partir des réponses à ces questions pour pourrez évaluer le coût pour vous d'1% d'erreur de prévision, et valoriser les initiatives visant à faire baisser l'erreur de prévision.
Dans le même esprit, un autre exemple dans la logistique est le suivant : une prévision sur une ligne de transport collectant des colis vous donne des volumes de variant entre 600 et 1200 jour par jour, et l'erreur de prévision moyenne est de 60% avec des pics pouvant atteindre 100%. Est-ce qu'il faut faire quelque chose pour améliorer les prévisions ici ? Quel est le coût de l'erreur de prévision sur cette ligne ? La réponse dans ce cas est 0€, et il n'y a aucun intérêt à améliorer cette prévision. En effet, le seul moyen d'emport sur cette ligne étant donné les volumes est un semi ayant une capacité d'emport maximum de 2000 colis de cette taille, donc en pratique il n'y a aucun impact opérationnel à se tromper tant que la prévision et les réalisé restent sous les 2000 colis. Cet exemple est utile pour garder en tête que l'on ne doit pas juger de la qualité d'une prévision simplement au taux d'erreur, mais à l'impact opérationnel que cette erreur peut avoir.
Points clés en résumé :
Les prévisions permettent d'anticiper les évolutions des grandeurs d'entrées de chaque processus, et donc de mieux planifier
Avant de choisir une technique de prévision, il est utile de connaître : l'objectif de la prévision, de quelles données dispose-t-on pour prévoir, quel est le niveau de complexité de la prévision
Il existe beaucoup d'outils pour préparer ses prévisions, démarrer sous une solution de tableur type Excel permet déjà de couvrir beaucoup de besoins. Il est possible ensuite d'implémenter les logiques construites dans des algorithmes et avec des langages de programmation (ex: Python)
Calculer l'erreur de prévision est important pour aider à la prise de décision, et cette erreur doit être mise en perspective avec l'utilisation opérationnelle de la prévision
A suivre:
A ce stade nous avons donc toutes les données disponibles permettant de suivre l'activité, les automatismes de suivi de l'activité et d'amélioration continue en place, les mécanismes pour cadrer, prioriser et suivre les grands projets d'amélioration, des réflexes d'entreprise sous la forme d'alerteurs et maintenant nous disposons d'un premier regard dans le futur sur les possibles évolutions des grandeurs qui vont déterminer les évolutions de nos organisations ! Puisqu'on a des idées sur ce qui pourrait se passer demain… on pourrait dérouler différents scénarios possibles de notre manière d'y réagir, non ? Prochaine action, les modules de simulation pour aider à nos prises de décisions !
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