11- La simulation comme aide à la décision
- Florian Colin
- 17 janv.
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 janv.

Commençons par le commencement : qu'est-ce qu'on appelle "simulation" dans le contexte de l'aide à la décision ?
La simulation est une technique qui permet d'imaginer différentes situations et de les faire exister virtuellement. (1) Quand des enfants construisent des forteresses en Lego et jouent avec des personnages en imaginant des chevaliers, des dragons et des combats, ils construisent un premier niveau de simulation qui se joue dans leur chambre avec des jouets. (2) Quand vous rêvez de vos prochaines vacances et que vous vous imaginez siroter un mojito sur une plage au soleil, vous construisez une simulation qui se joue dans votre imaginaire. (3) Quand vous faites vos comptes et que vous ajoutez au tableau de vos dépenses le coût d'une voiture, d'un voyage ou d'une maison que vous songez à acheter pour calculer votre reste à vivre, vous construisez une simulation qui se joue dans votre tableur Excel.
Une simulation a plusieurs composantes qui la définissent :
Un environnement : par exemple (1) les Legos et les personnages, (2) l'imaginaire, (3) le tableur Excel
Un modèle, c'est à dire les règles qui régissent l'univers qui a été créé dans l'environnement : (1) les Legos sont assemblés pour constituer une forteresse et les personnages ont des rôles, des compétences, des personnalités, (2) votre perception de la réalité et de ses règles quand vous êtes en vacances, (3) votre vie décomposée sous le prisme budgétaire
Un scénario : (1) les personnages interagissent et il y a des péripéties, les chevaliers combattent le dragon, (2) vous vous prélassez sur la plage en buvant un cocktail et vous vous sentez détendu et apaisé, (3) vous ajoutez à la réalité de vos dépenses des dépenses supplémentaires que vous n'avez pas encore faites (la voiture, un voyage, une maison) pour estimer les conséquences sur votre budget.
Mais à quoi ça sert toutes ces simulations me direz vous ? Le premier point à mentionner ici est que les simulations sont à la base de l'ensemble de nos prises de décisions au quotidien en tant qu'être humain. C'est codé en nous, principalement dans notre cerveau, et cela fonctionne tout à fait naturellement.
Prendre une décision repose sur une balance fine entre coûts et bénéfices. En d’autres termes, face à plusieurs options, il faut identifier celle qui permettra d’obtenir la plus grande récompense avec le plus petit effort. Lorsque nous faisons face à cette situation, c’est-à-dire à peu près tout le temps dans notre vie, un ensemble d’opérations se déroulent dans notre cerveau pour évaluer les différentes possibilités qui se présentent à nous et choisir la meilleure.
A l'aune de nos connaissances actuelles en neurosciences, il y a encore des débats sur l'ensemble des éléments qui interviennent quand notre cerveau évalue chacune des possibilités face à une décision (représentation du monde du sujet, modes de raisonnement, rôle des émotions, rôle du vécu et de la mémoire, etc.) et sur la manière dont ils se combinent. Ce sur quoi on s'accorde en revanche est le fait que, face à toute situation, le cerveau évalue a minima deux scénarios : faire quelque chose, ne pas faire quelque chose. Nous nous basons donc sur des simulations plus ou moins abouties pour alimenter notre système de connaissances et éduquer notre raisonnement, afin d'agir de la meilleure des manières à chaque instant de nos vies. C'est ici exactement l'ambition que l'on souhaite atteindre avec des outils de simulation dans une entreprise.

Alors bien sûr en entreprise, les environnements de simulation que nous utilisons sont différents de blocs de Lego et de personnages, ou de notre imaginaire individuel. Souvent, les tableurs Excel sont les principaux environnements de simulation qui sont utilisés : on change des hypothèses de calcul (quel serait mon résultat opérationnel si j'augmentais ma marge de 3% sur telle ou telle gamme de produits ?), on observe ce que ça donne et on prend ou non la décision utilisée comme hypothèse de scénario. Et c'est une excellente première base d'outils de simulation ! Si vous utilisez Excel comme environnement pour certaines simulations, il y a plusieurs points d'attention à garder à l'esprit pour vous assurer que l'usage de l'outil sera le plus efficace possible :
Assurez-vous que les données que vous consommez pour construire votre modèle sont robustes et indiquez explicitement leurs sources, d'où l'intérêt de l'étape Connaître du Business Flow, et de "pratiquer" ces données à travers des rituels de suivi de la performance pour corriger un maximum de problèmes de qualité de données et prendre de confiance en les chiffres comme modèle réaliste de ce que vous vivez (cf étape Améliorer) ;
Structurez votre fichier Excel de la manière la plus claire possible afin de distinguer les faits (données décrivant vos activités que vous avez collectées et structurées) des hypothèses (prévisions, taux de croissance de ventes, augmentation du nombre de salariés, scénario de création d'un nouveau service, etc.) ;
Explicitez le plus possible toutes les logiques de calcul mises en places pour évaluer les scénarios (ex: "si l'utilisateur de l'outil de simulation sous Excel augmente de 30% l'hypothèse de nombre de visiteurs dans les musées au niveau national, alors les visiteurs additionnels seront répartis sur l'ensemble des musées en appliquant le poids de la distribution des visiteurs sur le dernier trimestre connu").
Cependant Excel ou d'autres tableurs atteindront des limites assez rapidement quand les simulations deviennent plus complexes : nombre de lignes maximum dans les données d'entrées du modèle que l'on peut mettre dans un onglet, facilité de compréhension d'un fichier avec des hypothèses multiples et des règles de calculs complexes, évolution d'un modèle existant sans tout "casser", lenteur de calcul quand des hypothèses ont des impacts dans plusieurs onglets et sur un grand nombre de lignes.
Pour aller plus loin, de nombreux langages de programmation permettent de faire le pas supplémentaire rapidement et efficacement (Python ou Julia pour de la flexibilité et de la performance, R ou Matlab s'il y a besoin de résoudre des équations complexes dans le modèle, C++ ou Java pour des modèles plus robustes et faciliter la mise à l'échelle). Avec un langage comme Python par exemple, et une structure basique de modélisation comme suit, des profils de type "data analysts" ou "data scientists" peuvent coder en quelques jours des premiers éléments de réponses à des scenarios métiers variés que vous souhaitez investiguer. Un squelette d'architecture de code pour les outils de simulation est par exemple :
BOM (Business Object Manager) : fichier contenant la description de l'ensemble des structures métier de votre modèle de simulation (en python, cela serait des classes contenant des attributs et des méthodes) ;
Reader : implémentation de toutes les fonctions qui vont lire les données d'entrée à partir de vos bases de données (structurée dans l'étape Connaître), et remplir les objets du BOM avec des valeurs réelles ;
Engine : fichier contenant toutes les règles de calcul de votre modèle, comment le monde de votre simulation fonctionne (exemple dans la vidéo de simulation de l'égoïsme : marche aléatoire des personnages, règle de retour à la maison après une journée de 1 minute, règle de découpage de la vache) ;
Writer : implémentation de toutes les fonctions qui vont écrire les résultats de votre simulation dans des fichiers pour les visualiser (dans des outils de Business Intelligence ou des tableurs).
Ce découpage est suffisamment simple pour être accessible à tous les types de développeurs (des débutants au plus expérimentés) tout en permettant d'industrialiser le code si l'outil de simulation fait ses preuves.
Enfin, comment savoir quand construire une simulation est nécessaire ?
Chaque secteur d'activité de votre entreprise peut être modélisé. La priorisation des modèles à construire sera donc faite par rapport à ce qui vous pose le plus de problèmes, ou au secteur où vous percevez que vous pouvez le plus vous améliorer. Ainsi, lorsque vous êtes dans l'étape "Améliorer" de l'approche, vous constituez une liste de sujets à résoudre, alimentée par les réunions de revue de la performance ou grâce aux idées de projets émises par vos collaborateurs. Si vous réalisez qu'un secteur en particulier est plus en difficulté que les autres pour atteindre ses engagements, alors démarrez avec celui-là. A travers la phase de modélisation, vous serez amené à comprendre dans les détails comment le secteur fonctionne. C'est souvent très utile pour comprendre les relations de d'interdépendances entre les différents acteurs du secteur concerné, qui a besoin de quoi et de la part de qui. Cela donne souvent un éclairage global très utile même pour ceux qui travaillent dans le secteur en question. Et cela amène en soit parfois des solutions. Ensuite, une fois que vous élaborez le modèle décrivant comment le secteur opère aujourd'hui, vous pourrez noter toutes les idées qui vous viennent ou qui viennent des collaborateurs (les fameux "et si...") : ces idées seront les premières simulations à évaluer pour tester et valider le modèle. Ensuite, ce modèle de simulation pourra être utilisé pour trouver des axes d'amélioration dans le secteur en question (en testant beaucoup de "et si..." on finit par trouver des changements qui améliorent les choses !), ou valoriser des retours sur investissement attendus dans des initiatives projet de manière robuste et alignée. Si vous avez déjà entendu le terme "jumeau numérique", il s'agit ici d'une forme de jumeau numérique d'un service (alimenté par des données non nécessairement en temps réel, mais captée via les outils digitaux utilisés pour faire fonctionner ce service). Et si vous généralisez cette approche à tous les services de votre entreprise et que vous combinez les jumeaux numériques créés, vous obtiendrez alors un modèle numérique décrivant l'ensemble des fonctionnements de votre entreprise, modèle vous permettant de mesurer les conséquences d'une décision prise dans un secteur d'activité sur tous les autres... Vous venez de toucher du doigt l'approche qui permet à une entreprise d'acquérir la capacité d'avoir conscience des conséquences des décisions qu'elle pourrait prendre ! Ce n'est pas rien, non ?

Pour finir, voici quelques exemples de questions métiers qui peuvent être résolues avec des modèles de simulation dans différents domaines d'activité :
Industrie :
Que se passerait-il si la demande que je dois produire doublait ? Comment cette demande serait-elle répartie sur mes unités de production et atteindrai-je mes capacités maximums de production ? Quel impact sur mes coûts, mes besoins en matière première, ma qualité de service ?
Que se passerait-il si mon usine X subissait des inondations et ne pouvait pas produire pendant 2 mois ? Quel impact sur mes autres usines ?
Si j'acceptais la proposition de ce fournisseur pour renouveler l'ensemble de mon parc de machines par des machines moins énergivores, quel serait l'impact sur la production, sur mon bilan carbone et sur ma facture d'énergie ?
Construction :
Si mon taux d'absentéisme diminuait de 3%, quel serait l'impact sur ma qualité de service pour délivrer mes chantiers ? Quel impact sur mes coûts d'intérimaires ?
Si j'acceptais 10% de chantiers en moins, quel impact cela aurait sur ma qualité de service, sur mes coûts et sur mes bénéfices ?
Si j'achetais les machines de type Y sur mes chantiers au lieu de les louer, quel serait l'impact logistique de transport de ces machines entre les chantiers ? Quel serait l'impact sur mon respect des promesses de délivrance des chantiers, sur mes coûts, sur la satisfaction de mes collaborateurs ?
Commerce, Distribution :
Quel serait l'impact de proposer le retrait des commandes en magasins en moins de 3h sur mes coûts de personnel ? Quel serait l'impact sur ma qualité de service, sur la satisfaction client ?
Si j'améliorais mon taux de ruptures produit en magasin de 4%, quel serait l'impact sur mes ventes ? Sur mon résultat ?
Si j'augmentais la rémunération de tous mes collaborateurs de 2%, quel serait l'impact sur mon taux de turnover employé ? Quel serait la diminution des coûts de turnover lié à cette réduction et quel serait l'augmentation de mes frais de personnel ?
Transport et logistique :
Si je doublais ma flotte de livreurs sur la période de fin d'année, quel serait le nombre moyen de colis géré par livreur chaque jour ? Quel serait l'impact sur le respect de la promesse de livraison, sur la satisfaction client, sur les coûts de concessions suite à appel client, sur les frais de personnel ?
Si la taille des produits que je transporte augmentait de 15% l'année prochaine, combien de camions supplémentaires devrais-je sourcer pour couvrir la demande en gardant le même taux de remplissage moyen des camions ?
Si j'acceptais d'ajouter une règle dans la construction des plannings de mes hôtesses et stewards leur garantissant 1 jour de repos après 3 jours à travailler en "matin" consécutifs, quel serait l'impact en coût de planification ? Quel serait l'impact en qualité sur les plannings ? Quel serait l'impact de satisfaction du personnel naviguant ?
Santé et services sociaux :
Si je doublais le nombre d'infirmières et d'infirmier dans les services X, Y et Z, quel serait l'impact sur le temps moyen accordé à chaque patient ? Quel serait l'impact sur les frais de personnel ? Quel serait l'impact sur la satisfaction du personnel hospitalier, sur la satisfaction des patients ?
Si j'ajoutais 3 blocs opératoires dans mon centre hospitalier, quel serait l'impact sur le temps d'attente moyen avant une opération ? Quel serait l'impact sur le taux d'occupation des blocs, sur le taux d'occupation des chirurgiens ?
Si je souhaitais accorder 20 minutes de plus par jour à chaque patient, quel serait l'impact sur mon nombre de personnel hospitalier ? Quel serait l'impact sur mes frais de personnel, sur la satisfaction des patients et la satisfaction des collaborateurs ?
Éducation et formation :
Si le nombre d'étudiant augmentait de 20% l'an prochain, de combien de professeurs supplémentaires aurais-je besoin ? Quel serait l'impact sur mes coûts, sur le nombre de classes, sur le nombre d'élèves par classe ?
Si je disposais de 10 salles de classes supplémentaires pour organiser mes cours, quel serait l'impact sur la qualité des plannings des élèves ? Sur celle des professeurs ? Quels seraient les coûts associés ?
Si je souhaitais limiter le nombre d'élèves par classe à 20 maximum, quel serait l'impact en nombre de professeurs additionnels requis ? En nombre de salles de classes ? Quels serait l'impact en frais de personnel ? Quel serait l'impact sur la satisfaction des élèves, des enseignants, sur les évaluations élèves en moyenne ?
Etc.
Grâce à ces briques de simulations, il est alors possible d'évaluer quantitativement et factuellement des idées et des propositions afin d'identifier des améliorations à mettre en place. L'entreprise a codé en elle-même la capacité à évaluer des possibilités de changement !
Points clés à retenir :
La simulation joue un rôle clé dans la prise de décision d'un individu, c'est un processus naturel ;
Une simulation a trois composantes : un environnement, un modèle et un scénario ;
Si les tableurs comme Excel sont de très bons premiers outils de simulation, s'orienter vers des langages de programmation permet de modéliser beaucoup plus de situations ;
Coder une simulation nécessite de comprendre dans les détails des pans d'activités, et par ce processus on trouve aussi des solutions à des problèmes existants
A suivre :
Pour aller plus loin avec la prochaine action de cette étape Renforcer, l'Optimisation, elle sera capable de s'inspirer du fonctionnement du cerveau quand il prend une décision : mettre en place des mécanismes (ou algorithmes) pour évaluer un très grand nombre de scénarios "et si..." en une seule fois, identifier le meilleur et le choisir ! C'est l'objet du prochain article !
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